Atlas d’Iomadach - Zahan

Allongé sur son lit, Zahan semblait rêvasser, comme le font tous les adolescents, mais en fait il se promenait dans des lieux qu’il était le seul à explorer. Des lieux inaccessibles au Haut Conseil et à tous ceux chargés de contrôler les actes et les pensées pour le bien de tous.

Zahan était très fort pour dissimuler. C’était pour lui un moyen de maintenir le souvenir de son père vivant. Ce père, il le comprenait confusément quelques années auparavant, et bien plus clairement maintenant, lui avait appris en jouant à dissimuler ses pensées : « Tu choisis un cube, un mot sur cette page, une phrase dans ce paragraphe, et moi je dois retrouver à quoi tu penses. Ok ? Bien compris ? Attention c’est parti ! »

Au début il perdait toujours, puis au fil du temps moins souvent. De moins en moins souvent… Plus grand son père avait inventé un nouveau jeu : « Tu me suis dans la rue, à vingt pas, et tu ne dois pas me perdre. » Bien évidemment au début il disparaissait toujours, il s’évaporait comme par enchantement, puis les rôles s’étaient inversés quand Zahan sembla avoir découvert la plupart de ses techniques . Zahan en inventa même quelques unes qu’il ne déjoua jamais. Le fils en fut très fier. Le père en fut très fier…

Zahan comprenait maintenant que tout ceci n’était pas un jeu, mais une éducation nécessaire à sa survie. Car dans ce monde où tout était commandé, dirigé, dominé, gouverné, piloté, régenté par le Haut Conseil, tout pouvait arriver à tout moment. Parfois avec justification, souvent sans explication. C’était comme ça. Et si vous ne vouliez pas décaster d’un niveau il ne fallait montrer aucun sentiment, aucune émotion, aucune révolte. Ce que Zahan et Hanocha, sa mère, réussirent à faire, malgré la douleur, quand son père ne fut plus là.

Mais il avait profité du temps qui lui avait été donné pour semer d’innombrables graines… Et toutes ces petites graines avaient été choyées, arrosées, protégées des vents mauvais et des froidures de l’oubli. Et maintenant elles s’étaient transformées en lianes vigoureuses qui, telle des artères et des veines, irriguaient tout son cerveau. Le nourrissaient de pensées nouvelles. D’idées saugrenues pas si saugrenues que ça. De moins en moins saugrenues.

« Pourquoi je m’appelle Zahan ? » « Tu sais bien que ce sont les parents qui choisissent, pas le Haut Conseil quand même ! » Zahan adorait la façon que sa mère avait de ponctuer cette réponse d’un petit rire sautillant. « Oui, mais lequel d’entre vous a choisi mon prénom ? » « Tous les deux » dit sa mère en le regardant d’une façon intense. « Ensemble » ajouta-t-elle .

Zahan perçut la tristesse profonde qui venait d’envahir sa mère. Il en fut désolé, mais il fallait qu’il pose cette question, il était obligé. Et, mêlé à la tristesse, il y avait quelque chose de fort, de puissant. Une révolte et une fierté aussi. Maintenant il avait sa réponse.

Il se souvenait des explications de son père quand il fut en âge d’écrire son prénom.

« Regarde bien, le Z c’est simple : Tu avances pour faire le trait du haut, puis tu recules en descendant, et tu avances à nouveau pour faire un nouveau trait. Plus long que celui du haut. Le double de longueur. Toujours. Tu comprends ? Toujours. »

Zahan écrivait toujours son Z comme son père lui avait appris. Son père l’écrivait toujours comme cela. Sa mère l’écrivait toujours comme cela. Et Zahan se souvenait qu’elle avait eu les mêmes explications pour lui apprendre comment se dessinait un Z.

À l’école il se conformait aux demandes, il écrivait lez Z comme tous les autres enfants. À la maison, sur les dessins faits pour ses parents il signait avec le Z familial. Son cerveau avait appris très jeune à cloisonner, à rendre étanche la sphère familiale à tout ce qui était l’extérieur.

Quand Zahan s’aperçut que Zanox et Zenwy écrivaient tous les deux leur prénom avec le même Z que lui, ce fut une explosion de joie entremêlée à de la peur, une coulée de lave qui dévalait en brûlant tout ce qui était sur son passage.

Mais rien de tout cela ne se voyait de l’extérieur : juste un ado qui rêvassait. Comme tous les ados. Tous les ados sauf Zenwy, Zanox et lui. Et peut-être bien d’autres.

Il se leva. Mit en place les cloisons de son cerveau comme il le faisait naturellement. Prit l’Écran dans sa main, le laissant pendre au bout de son bras, alla se poser devant la fenêtre, regarda distraitement les innombrables immeubles dans lesquels il y avait peut-être plus de Zenwy et de Zanox qu’il le croyait, puis se dirigea vers son bureau. Devant lui, protégé dans un sous-verre, le petit papier qu’il avait trouvé sur son bureau le jour où son père ne fut plus là. Quatre lettres, deux P, deux A, tracés maladroitement , et sa signature tout aussi maladroite : Zahan. Avec un trait du bas deux fois plus long. Déjà.

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