Atlas d’Iomadach – Hanocha

Hanocha savait qu’il était temps. Chaque jour qui passait la rapprochait de ce moment. Moment qu’elle attendait aussi impatiemment qu’elle le redoutait. Alors que jusqu’à maintenant elle avait réussi à la tenir éloignée, la peur l’envahissait chaque jour un peu plus. Et Hanocha savait bien que la peur était le meilleur des anesthésiques, que le Haut Conseil jouait sur ce sentiment. Peur équivaut à paralysie. Et les membres du haut conseil aimait bien quand la peur paralysait.

Les années avaient passé si vite… Et si lentement… Elle était épuisée de toujours ressentir des émotions contraires, antagonistes… Pressée de peut-être retrouver Sven. Non, de retrouver Sven. Le peut-être était ici de trop. Elle allait retrouver Sven. C’était évident. Elle savait qu’elle le retrouverait. Elle savait qu’ils se retrouveraient. Tous les trois. Comme avant. Et Sven le savait. Il le lui avait dit. Sven avait toujours fait ce qu’il avait dit avec elle. Dès le jour de leur rencontre.

Au début il était plutôt maladroit, il faut bien le reconnaître. Touchant, mais maladroit… Il voulait bien faire, c’était évident, mais cela s’était un peu amélioré quand il avait saisi qu’il en faisait un peu trop… À sa décharge il faut reconnaître qu’ils étaient si jeunes… Quelques mois plus âgés que Zahan actuellement. C’est ce qui lui rappelait qu’il était temps. Chaque jour qui passait les rapprochait du Classement.

Entre Sven et elle, il était difficile de dire qui haïssait le plus le Classement. Comme il était difficile de dire qui avait fait le premier pas pour fendre l’armure qui les protégeait l’un de l’autre. Parce qu’ils avaient peur l’un de l’autre. Tout était organisé pour qu’ils aient peur l’un de l’autre. Depuis si longtemps. L’organisation était pensée, réfléchie, éprouvée depuis tant de générations qu’il semblait peu probable que quelque chose ne se passe pas comme prévu par le Plan. Une quantité infinitésimale s’échappait, bien sûr, mais cela concernait si peu de Citoyens que la marche globale de la Colonie n’était pas affectée. Cette quantité infinitésimale disparaissait. Nul ne savait comment. Quelques membres du Haut Conseil s’en était ému lors des Premiers Âges, craignant que cela puisse compromettre tout l’équilibre en construction. Ces inquiétudes s’étaient peu à peu envolées car manifestement, même si la question restait sans réponse, le sort de ces personnes évaporées ne déstabilisait nullement la marche de la Colonie. Aux Deuxièmes Âges la question n’était pas totalement oubliée, aux Troisièmes Âges plus personne dans le haut conseil ne s’en préoccupait.

Un regard détourné de l’écran peut-être. Un mot d’amour prononcé différemment. Plus sincèrement. Dans la rue, côte à côte, une main qui trouve l’autre différemment. Une phrase qui semblait affirmative, qui avait toutes les apparences des phrases qu’on devait formuler si on voulait que demain soit comme la veille, mais qui laissait la porte ouverte à un point d’interrogation. Qui s’était ouvert à l’autre en premier ? Qui avait décidé le premier qu’il n’avait plus peur ? Et que donc il n’était plus paralysé. Peu importe, ce fut un lent processus. De maturation pourrait-on dire, comme dans un fruit, la rencontre du pollen et du pistil de la fleur n’ayant d’autres buts que de maturer, maturer, et maturer… Et le jour où Sven partit, il y a bien longtemps qu’ils n’avaient plus peur. Enfin pas autant peur que le Haut Conseil l’aurait souhaité.

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