Atlas D’Iomadach - La Cérémonie du Classement.

Sven faisait partie des plus brillants de sa génération. Mais sans le savoir. Surcaster de deux niveaux était une idée qu’il n’avait jamais envisagée.

Lorsque ses résultats étaient en baisse, la crainte d’être déclassé lui redonnait un peu de courage pour être serein face à la Cérémonie du Classement. Entre le Quatrième et le Troisième Niveau la vie n’était pas très différente, du moins c’est ce qu’il croyait savoir. Mais se retourner sur le chemin et voir sa famille pour la dernière fois… Sans être un enfant débordant d’amour pour les siens, ils étaient les seules personnes synonymes de stabilité autour de lui, et la stabilité rassurait. Plus tard il saisirait pourquoi tout bougeait aussi souvent sur les demandes du Haut Conseil : la valse des voisins, des connaissances, des commerçants, des collègues était incessante. Impossible de construire dans un monde aussi peu consistant. Impossible de construire des relations, des amitiés, une pensée quand vous avez le sentiment de vivre sur des sables mouvants.

Le Haut Conseil avait cependant oublié que certains ados sont capables de construire une relation indestructible en une fraction de seconde. Le Haut Conseil avait oublié la puissance d’un regard. Logique : une des premières choses que se sont toujours empressées de faire les adultes, c’est d’oublier ce qu’ils étaient enfant ou adolescent. Erreur du Haut Conseil…

Sven était donc parti relativement serein pour le Classement. Sa famille était ancrée en Quatrième Caste depuis si longtemps que l’éventualité d’un changement n’était pas pensée. En Quatrième Caste il partait, en Quatrième Caste il reviendrait. Au pire en Troisième…

Et soudain il eut peur… Bien aligné à sa place, avec devant lui un jeune comme lui qu’il ne connaissait pas plus que celui qui était derrière lui, pas plus que ceux à droite et à gauche, il se sentit seul, et surtout il se sentit perdu au milieu de centaines de costumes de cérémonie identiques au sien, pas plus qu’un grain de sable parmi des milliers d’autres grains de sable qui mis ensemble formaient une vaste étendue de sable.

Soudain il prit conscience qu’en fait il ne savait rien de la cérémonie du Classement. Il prit conscience de sa paresse intellectuelle. Il s’était contenté du peu qu’on lui avait dit. Certes il savait que le Classement déterminait votre vie future. Quoi. Où. Avec qui. Il se rendit compte qu’il ne s ‘était jamais demandé pourquoi. C’était pourtant une question simple. Pourquoi ? En même temps il savait bien que c’était une question à ne pas poser. Bien évidemment il n’aurait aucune réponse. Mais en plus oser cette demande c’était se faire remarquer, se mettre dans une position où on lui demanderait justement pourquoi. Pourquoi avait-il dit pourquoi ? Pourquoi posait-il cette question ? Qu’est ce que ça sous-entendait ? Sven avait appris comme tous à ne jamais demander pourquoi, malgré tout il aurait pu au moins réfléchir à cela. Non, pas il aurait pu, mais il aurait dû.

À la fin du traditionnel discours les remerciant et les félicitant pour leur travail qui allait permettre à la Colonie de toujours prospérer, à peine les dernières notes de l’hymne de la Colonie envolées, les portes devant eux s’ouvrirent. Sur un signe des hommes chargés de l’ordre qui étaient situés à côté de chaque groupe, les premiers rangs se dirigèrent sans un regard pour leurs familles installées en arrière sur des gradins. Lorsque son tour arriva de se mettre en marche, ses muscles ne répondirent plus. Tremblant de peur, il restait sur place, incapable de faire un pas en avant. Un garde s’avançât et posa délicatement une main sur son épaule gauche.

Son corps se remit en mouvement, il pénétra dans une capsule, et après s’être installé dans le fauteuil qu’on lui désignait son esprit fut rapidement débranché.

Sven se réveilla dans une salle où ils n’étaient qu’une quarantaine. Un rapide regard sur les visages autour de lui lui apprit qu’il ne connaissait personne. Au cours de son éducation Sven avait croisé des centaines d’enfants puis d’ados. Jamais assez longtemps pour qu’une relation se crée, le Haut Conseil y veillait.

Tous ces inconnus semblaient aussi désemparés que lui. Tous sauf un. Lorsque leurs regards se croisèrent, l’inconnu lui adressa un clin d’œil, un clin d’œil accompagné d’une ombre de sourire. Instantanément Sven ne se sentit plus seul. Jamais il n’avait éprouvé une telle proximité avec quelqu’un d’autre, jamais, et Sven su de suite que quelque chose d’important venait de se passer dans sa vie.

La démarche pleine d’autorité, un délégué du Haut Conseil se dirigea vers une petite estrade. C’était la première fois que Sven voyait en chair et en os un personnage aussi haut Casté. Les Nouvelles en montraient lors de la retransmission d’événements importants, ce qui semblait signifier que le discours qui allait suivre était sans rapport avec une simple cérémonie du Classement.

Sven n’arrivait pas à fixer son attention sur le discours. Néanmoins il réussi à comprendre qu’il venait d’être Casté au Sixième Niveau, comme tous les inconnus dans cette pièce, qu’ils constituaient ensemble une élite, que leurs capacités intellectuelles sortaient de l’ordinaire, et que grâce à cela ils allaient participer au bon fonctionnement de la Colonie, que grâce à eux la bonne marche de la Colonie reposant depuis les premiers Âges sur un fragile équilibre allait pouvoir se renforcer . Il comprit qu’on lui disait qu’il était fait pour être un Haut Casté, et qu’il aurait une vie bien meilleure en vivant en Sixième Caste plutôt qu’avec les personnes qui pullulent dans les Castes inférieures. Le ton méprisant employé ne lui plut pas du tout, mais bien évidemment il n’en laissa rien paraître. Il avait le sentiment qu’on le flattait un peu trop…

Son esprit revenait toujours à ce clin d’œil, à ce qu’il signifiait comme prise de distance avec la situation, et plus le discours avançait, plus Sven comprit qu’il venait voir le premier signe de révolte de sa vie.

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