Pong Musical-King Crimson – Lark’s Tongues In Aspic

Arrivée du Ping. J’écoute.

Tout d’abord je perçois une tristesse, on peut même dire une immense  douleur, et j’imagine que c’est peut-être lié à la perte du lieu où plongent les racines d’un peuple. Pourtant ça ne me procure pas beaucoup d’émotions. J’ai l’impression d’entendre une musique atemporelle. Une musique qui aurait pû être jouée il y a plusieurs siècles. La voix semble raconter une histoire terrible. Si on enlève la contrebasse qui, elle, apporte de la modernité, et si je ferme les yeux, je suis dans une maison construite en pisé où la chaleur est étouffante, et où ça sent un peu l’odeur des chèvres, et surtout celle du bouc, qui sont dans l’appentis à droite en sortant. Ça fait un peu cliché, je sais, mais mes neurones font ce qu’ils peuvent.

Je connais cette odeur, mes grands parents élevaient des chèvres, et à part les murs en pisé c’était pareil. Le bouc et les chèvres embaument l’air de la même façon, qu’on soit dans la plaine Thouarsaise ou dans la plaine Syrienne, qu’on soit au vingtième siècle (je sais, actuellement c’est le vingt et unième, mais les chèvres chez mes grands parents c’était au vingtième ) ou qu’on soit au moyen âge. Et quand le troupeau se déplace pour rejoindre le pré, il balise pareillement le chemin avec des petites billes rondes, tel un petit Poucet du règne animal… Il y a des choses qui ne changent pas. Ni l’odeur des chèvres, ni leur transit intestinal.

Et, pour moi, cette musique non plus n’a pas changé. Et ne changera pas. Mais je reconnais que cette flûte et cette guitare sommaire à deux cordes, accompagnées de ces percussions, viennent parfois faire résonner des brins d’ADN, je reconnais aussi que des chromosomes se mettent à vibrer au fin fond de mes cellules. Oui, ça je le reconnais. Ainsi que des moments de grâce musicale, oui, c’est vrai, mais globalement je vibre peu avec cette musique. Trop vieille, trop archaïque pour moi. Elle me bouscule par sa longue histoire d’immobilité. J’apprécie pourtant le solo de percussions ou le solo de contrebasse, j’apprécie le son de la flûte, celui des deux flûtes jouées ensemble.

Mais peut-être y a t’il trop de douleurs dans ces deux concerts, peut-être que dans les pensées qui me traversent à ce moment là j’associe cette musique à la guerre, aux migrations forcées, à la mort, à des choses qui me bousculent trop, peut-être que je préfère détourner le regard, et mes oreilles aussi, de cette réalité…

Bon, tout ce que j’en dit n’est que le reflet de mes pensées confuses, cela n’a rien à voir avec la vérité, c’est juste une impression toute personnelle…

C’est en réfléchissant à cette musique qui me bousculait que mes promenades cognitives m’ont emmené vers un album qui m’avait lui aussi bousculé à l’époque où je côtoyais encore le doux fumet d’un troupeau caprin. Une époque où je découvrais les guitares saturées, les batteries binaires, les chants suraigus de chanteurs à la virilité moulée dans des pantalons brillants. Mais une époque où j’aimais être bousculé. D’ailleurs, en général, j’aime toujours être bousculé. Musicalement j’entends….

Le décor : j’ai 14 ans ½, un 103 Peugeot beige, siège biplace, les cheveux qui poussent, c’est l’été, il fait chaud, je suis chaud, j’ai un pote qui s’appelle Eddie et surtout qui a un frère plus âgé qui bosse à la SNCF, et donc un salaire qui lui permet d’acheter beaucoup d’albums, on passe des journées à écouter ces albums, et moi je découvre quatre albums qui vont m’éveiller à des mondes nouveaux, qui vont élargir mon horizon musical. Et dans ces albums il y a « Lark’s Tongues In Aspic » de King Crimson.

Ça commence par des percussions, des notes de Marimba qui s’entremêlent, des sons étranges, indéfinissables. Et puis l’arrivée du violon avant une explosion guitare, batterie, basse, à nouveau violon, et retour du groupe avant ce qui ressemble à une longue impro débridée, suivi d’un moment d’apaisement avec un violon solitaire, tout en douceur. Long passage tout en retenue avant le retour d’un court thème final. Le morceau qui suit, basse-guitare-voix, avec quelques ornements au violon, bien que d’un abord plus classique, est musicalement très complexe. Pour terminer la première face du LP, longue intro qui, quand j’y repense, a sans doute beaucoup interrogé mon père à propos de ma santé mentale…, on pense se diriger ensuite vers un morceau avec couplets-refrains, mais c’est plus compliqué que cela. À écouter, donc…

Seconde face : on reprend les mêmes ingrédients que sur la première face, et là encore, surprises à tous les étages. Dans cet album on ne peut pas écouter et se dire que les prochaines mesures vont être comme ci, ou comme ça.. Non, elles sont toujours différentes de ce à quoi on s’attend. La structure, les sons, les gammes, : tout est traité sous un angle progressif/impro par des musiciens très inventifs.

Je vous rappelle juste que c’est un album sorti en 1973 que vous écoutez. C’est à dire avant le numérique. Le copier/coller se faisait avec des bandes magnétiques, des ciseaux et du scotch… J’imagine même pas le travail qu’un tel album représente au niveau conception et production des morceaux.

Après 46 minutes d’une musique qu’on ne danse pas, qu’on ne chante pas, qu’on ne fredonne pas, une musique qu’on écoute en essayant de savourer chaque ingrédient inséré dans ce festin musical, bref après 46 minutes le bras parcours les dernier tours de ce sillon infernal, se relève avec un petit « clac » caractéristique du vinyle qui se termine, et comme l’a dit quelqu’un à propos de la musique de Mozart, le silence qui suit est encore de la musique de King Crimson… Il faut alors un petit, ou un long, moment pour retourner à nos occupations. En général on n’enchaîne pas tout de suite avec un autre album, on est rempli de musique pour un certain temps…

Bonne écoute.

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