Pong Musical : Rory Gallagher – Irish Tour 74

18 octobre 1978

Je crois l’avoir déjà dit (en fait j’en sais rien du tout, à priori je ne me souviens pas de l’avoir déjà dit, mais si je l’ai dit et que ma mémoire a des fuites, en disant « je crois » je me préserve… Faut toujours se préserver), bref je crois l’avoir déjà dit : il y a les jeunes, et puis il y a les anciens.

Il y a ceux qui découvrent, qui voguent à la recherche de nouvelles îles, de nouveaux continents à explorer où l’air serait plus frais, où des rivières de notes jailliraient de sources écumantes, traverseraient d’immenses plaines en se gonflant de petits ruisseaux bondissants, de rivières paresseuses, formeraient des cascades écumantes et bruyantes puis rejoindraient des océans délicieusement salés. En général ces aventuriers sont des jeunes.

Mais à ces troupeaux débordants d’envies de neuf, d’hormones bouillonnantes et d’énergie, se mêlent discrètement quelques anciens, des anciens qui n’ont pas abandonné les plaisirs des voyages dans des lieux inconnus, qui apprécient toujours la découverte de paysages nouveaux, même si cette recherche les éloigne des lieux qu’ils fréquentent habituellement, des lieux qu’ils connaissent par cœur, qu’ils aiment parcourir inlassablement. Quand ils sont un peu fatigués, il arrive que ces anciens se laissent porter par un gamin…

Et puis il y a aussi les anciens, qui aiment se promener dans les lieux qui ont moins de secrets pour eux, ou qui finissent même par ne plus se promener, la soif de notes a disparu, ils se contentent d’ouvrir un robinet et de se désaltérer à un flot qui déverse des notes sans surprises…

Mais le privilège des anciens est d’avoir de la mémoire. Et qu’un nom, un seul, effleure leurs neurones pour qu’ils se mettent à revoir un album, à l’entendre à nouveau, pour que les souvenirs liés à ces notes remontent des profondeurs telles des bulles d’air qui viennent exploser à la surface d’un étang tout calme, et que ces bulles en explosant créent de jolies vaguelettes qui en cercles concentriques agitent doucement le miroir d’eau, et révèlent d’autres portes derrière lesquelles on trouve d’autres albums qui remontent à la surface, créant de nouveaux cercles concentriques… Et ce qui n’était qu’une surface plane de liquide se met à être parcouru de vaguelettes qui s’entrechoquent et c’est tout de suite beaucoup plus vivant.

L’homme aux mains brûlées a encore trouvé un truc qui accroche dès les premières notes. Guitare qui annonce de jolis galops, mais retenue, domptée avant de tenir toutes ses promesses au premier solo sur les terres de la Wha-Wha magique. Voix née pour le Blues. Et un bon gros Son, ample, plein de rondeurs dans la basse et de grains dans la guitare. Parfait. Dans le petit jeu Britannique/Ricain ? J’aurais perdu à tous les coups. Ça sent le Texas à plein naseaux ce truc là… Un proche cousin de BB Chung King & The Buddaheads dans un album parfaitement nommé « Howlin’ At The Moon ». Cet album là je le gardais pour un Pong futur, sûr qu’il allait trouver sa place un jour ou l’autre, mais je sens que le Ping du chevelu est l’occasion de vous refiler, chers lecteurs, un petit bonus… Bref j’aurais dit Ricain. Pas l’idée que je me fais de l’autochtone de l’île de Man. Même si la mandoline en arrière plan parfois… Mais non, définitivement, ce type a dû écouter un peu plus loin que ses terres natales.

Mais il a aussi écouté pas loin de chez lui, par exemple Belfast ou Dublin, l’île de Man étant aussi proche de l’Irlande que de Liverpool… Et quand le gars David parle de ses influences il parle de Rory Gallagher… Rory Gallagher +Belfast+Dublin !!!! Irish Tour ‘74 !!! Double album live. Pochette grise métallique avec typographie genre Typewriter. Un condensé d’énergie. Une démonstration de ce qu’un Live peut être. De jusqu’où un Live peut aller. Peut s’élever.

Ça commence avec un « Cradle Rock » bien gras et bien vitaminé… Puis présentation des musiciens, parce que le gars n’oublie pas qu’il joue en groupe, et on sent rapidement qu’il y a du jeu entre lui et les trois mecs derrière qui le poussent encore plus loin, et lui joue en n’oubliant pas de leur laisser une place pour s’exprimer. La basse est tenue, et bien tenue, par Gerry McAvoy, dont les fans disent qu’ils ne se trompait jamais, et que si l’on croit qu’il se trompe, c’est en fait Rory qui se trompe. Mais ça n’arrive jamais. Rod De Ath à la batterie est un genre de clone de Boris, batteur que le jbz a assidûment fréquenté. Et Lou Martin soutient ou prend quelques solos/soli avec un Fender Rhodes.

La suite n’est qu’un enchaînement de morceaux qui sont autant de Blues, des rapides, des lents, des classiques, des plus récents, avec des perles un peu partout. Vraiment difficile de dire qu’il y a un moment où on sent que ça, ouaip, ça c’est un peu moins bien. Tout est bon, le gars prend son temps pour développer un thème, pour l’explorer, pour en tirer tout le meilleur, et toujours cette guitare magique, Stratocaster de 1961 avec un micro défectueux qui n’a jamais été changé pour ne pas changer son son, dont l’aspect plus qu’usé serait dû à la sueur particulièrement acide de Rory à cause d’un problème de foie (qu’il détruisit consciencieusement jusqu’à ce que mort s’en suive…).

Mais il y a aussi des morceaux acoustiques. « As The Crow Flies », morceau de Tony Joe White, file les frissons, l’harmonica y trouve sa place de façon évidente, moi en l’écoutant je suis dans le Deep South, et quand je lève la tête je vois effectivement passer un joli corbeau…

Bon, je vais pas vous faire perdre votre temps en évoquant chaque morceau : plongez vous plutôt dans cette guitare immédiatement.

Dernière anecdote : Quand un journaliste demanda un jour à Hendrix ce que ça faisait d’être le meilleur joueur de guitare au monde, celui-ci répondit : Je ne sais pas, demandez à Rory Gallagher. Ça se passe de commentaire…

Bonne écoute. Oups j’allais oublier : pourquoi 18 octobre 1978 ?
Et bien ce jour là il était sur la scène des Arènes de Poitiers, et moi j’y étais aussi. Enfin devant la scène, pas dessus, et je m’en souviens encore. Ce jour là j’ai vu le meilleur guitariste au monde.

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