Tranches de vie, le potager

« Bon Patrick, je sais bien que la retraite approche à grands pas, mais là faut que tu t’y mettes un peu. Le match d’hier était une purge, la faute à l’arbitre assurément, point. Alors on s’y met et à 16h30 on débauche d’accord. Je veux pas encore faire des heurs supp’ jusqu’à 17h13. »

Le monde des médecins légistes était abrupte, dur et hostile. Patrick le savait que trop bien, lui qui avait fait sa carrière ici, un dinosaure dans le service, qu’on surnommait affectueusement Pat’folle et parfois Pat’molle.

Tout dépendait de l’état de Patrick, si sa jambe le lançait et provoquait ainsi une démarche atypique (sûrement dû aux longues heures de danse country et french cancan avec Marie-Louise, la vendeuse de colliers ésotériques sur le marché, et accessoirement une très, trop bonne amie.) alors c’était le premier et, bien souvent, lorsque’il se pensait déjà à la retraite alors c’était le deuxième. La conjugaison de l’un et de l’autre n’était pas impossible et alors Patrick se transformait en Pat’ravay, un modèle de fonctionnaire à l’ancienne comme on en fait plus, un véritable dieu de la glandouille, doté d’un instinct rare en matière d’esquive de tâches.

Notre ami renvoya donc le corps de notre défunt Raphael et attendit le prochain, feuilletant son catalogue de voyages du CA. Son esprit était déjà sous les cocotiers. Alors qu’il reluquait le postérieur peu vêtu d’une mannequine spécialisée dans les catalogues de voyages (Il devait certainement y avoir une formation spécifique pour cela) un corps arriva.

Patrick ressentit de suite une soudaine envie de pot-au-feu, d’une bonne bouffe entre amis autour d’une bonne bouteille (assurément un Saint-Nicolas ou un Champigny, la crème de la crème) conclue par la traditionnelle partie de Dr Maboule, on ne se refait pas. Cette subite envie n’était pas arrivée dans un coin de son cerveau par hasard, mais cela notre ami ne le savait pas encore.

Alors qu’il récupérait le dossier de la victime, tournant les feuillets avec délicatesse, ses mains gantées étant de véritables machines à tuer pour ces fines feuilles de papiers, une vraie boucherie si on ne faisait pas réellement attention, il fût pris d’un vertige.

« C’est quoi ce bordel nomdidiou !? » s’écria Patrick à la lecture du dossier. Le policier, interrompu en plein ménage nasal, ricana nerveusement et dit que la victime était la toute première d’un nouveau genre, celle d’un tueur mystico-écolo.

L’homme gisant sur la table s’appelait Martin, 27 ans, un jeune débrouillard et aimé de tous, ayant eu le malheur de faire de l’autostop sur la voie communale 28 entre Chatouin-le-pres et Dramart-en-rate. Martin avait entrepris, il y a deux mois de cela, un voyage initiatique à la découverte de notre ruralité, explorant les méandres champêtres et prêtant ses mains et sa force contre le gîte et le couvert. Voyager simplement, se reconnecter avec les gens, les vrais, avait toujours été un motto pour Martin. Peut-être était-ce cette naïveté innocente qui lui avait couté la vie. Car un beau matin, sur cette route communale toute cabossée par les allers-retours des tracteurs, il avait rencontré un homme, quand bien même on puisse encore le.nommer ainsi.

« Et c’est la seule victime pour l’instant ? » demanda Patrick au policier.

« Ah ben ça non Pat’, je pense que tu as toute une récolte qui arrive, trois rangs de 27 ans, deux pieds de quinquas, un composte de sénior et de petits plants d’adolescents »

« Putain mais qu’est-ce que tu racontes là, tu passes bien trop de temps chez Gamm Vert toi »

« Pat’, je pense qu’il serait judicieux que tu essaies d’activer les quelques neurones présents dans ton cerveau, on parle ici d’une récolte de victime, sur une terre argileuse en plus alors notre gars n’est pas un amateur. Pat’, ces victimes proviennent d’un potager… »

Subitement, le cerveau de Patrick se mit en ébullition, tel un Sherlock Holmes, tout prenait sens et il comprenait maintenant. Il avait affaire à un meurtre, un parmi tant d’autres. L’oeuvre d’un type dérangé, qui prenait les personnes en stop pour, semblerait-il de part sa brève observation du corps, leur assenait un bon coup de pelle sur la tête pour ensuite les enterrer dans son potager. Un grand malade, un de plus.

Patrick se rappela de cette sordide affaire du tueur à linge, épinglé par un voisin un peu trop voyeur alors qu’il étendait sans complexe sa victime sur le fil à linge après l’avoir bien repassé et aplatit, sans oublier le lavage à haute température pour tuer les germes et la lingette anti-décoloration histoire que la peau de la victime ne soit pas altérée par les teintures de ses vêtements. Une sombre histoire qui avait donné lieu à une course poursuite mémorable où les policiers partirent à la poursuite du tueur fou, ce dernier prenant soin de brouiller les pistes en positionnant des pastilles d’adoucissants sur des chemins erronés et tendaient des pièges mortellement glissants à nos deux valeureux soldats de la loi en aspergeant le sol de son mélange (non-breveté) de soude et lessives. Une glissade vous cassait un membre, la soude finissait le travail…

« Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris » souffla Patrick alors qu’il retroussait ses manches. Il inspira un bon coup, remercia ses parents de l’avoir obligé à choisir latin au collège, jura que plus jamais il n’achèterait de produits bios puis entama sa danse de scalpel, sa dernière danse.

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