Tranches de vie: Le Lac

C’était toujours accompagné d’une douce mélopée que notre ami Pat-surnoms rentrait chez lui après une dure journée de travail/glande. En général il se plaisait à écouter ces musiciens aux cheveux longs, jadis, du moins pour la plupart, car dorénavant les crânes étaient quelques peu clairsemés, tous comme les rangs d’ailleurs, le poids de l’âge, la roue du temps…

Il arriva donc devant chez lui et rencontra la-do dièse-ré-fa-ré-do dièse-fa.

Aurais-je oublié de vous préciser que, pour ne pas compromettre l’existence des protagonistes, la direction des services sec…la direction de son service m’a gentiment demandé, sans aucune violence ou coups dans les parties avec un fouet en crin de cheval, de remplacer ces prénoms par ce que je voulais, tant que ce n’est pas des prénoms. Et vu que l’homme à la cagoule m’ayant poliment demandé ce service avait un accent chantant, je me suis dit qu’il serait sympa, pour lui rendre hommage en quelque sorte, de remplacer les prénoms par des notes. Les pistes sont brouillées, du moins je crois, j’espère, et tout d’un coup je ne suis plus sûr de rien.

Et pourquoi ne pas protéger Pat’ alors ? Il est trop tard j’en ai bien peur …

la-do dièse-ré-fa-ré-do dièse-fa était une jeune femme tombée trop tôt dans le monde de la police surnaturelle. C’était d’ailleurs le mot juste vu de la situation, une telle intelligence dans la police, surnaturelle. Elle en était encore qu’au début de sa carrière et pourtant sa vie avait complètement basculé ce soir où elle tomba sur Pat’.

Marcher dans les rues désertiques d’un mois glacial de janvier avait quelque chose d’envoutant. Se sentir seul et puissant, foulant le pavé de toute sa détermination, après une journée plan-plan, commencer son deuxième service, celui qu’on tait pour ne pas éveiller les craintes du monde, de la masse grouillante, laissant le soleil réchauffer sa solitude d’homme. Pat’ rencontrait pour la première fois cette étrange personne, au nom sentant bon l’intervention divine.

  • Bonjours, vous êtes bien M. Pat ?
  • Oh là ma ptite dame, je vous arrête tout de suite, Auxerre-Sochaux va bientôt commencer, il paraît même que Guy Roux a fait une nouvelle pub pour Cristaline, un peu osé de ce que j’en ai entendu. Je ne veux pas rater ça alors désolé mais pas ce soir.
  • M., sans vous manquer de respect, je suis envoyé par mi-la_la dièse_si-ré-la_la dièse_si-ré, je crains que vous n’ayez le choix que de m’accompagner.
  • Rhoooo, ils peuvent pas me laisser tranquille une soirée, ils commencent à me courir ces cravateux de mes deux. C’est où ?

L avait annoncé la couleur, direction le lac des trois tringles. D’ailleurs il est utile, hypothétiquement, pour l’histoire de préciser que notre ami Pat’ connaissait bien ce lac, son nom venant de l’affaire ayant défrayé la chronique en 1987. Trois corps retrouvés empalés sur une tringle à rideau, flottant au beau milieu du lac. C’était Robert qui avait alerté les enquêteurs, ayant d’abord cru à un ours, il avait vissé sa gapette sur son crâne, et fait feu de tout bois avec son fusil. Il s’avéra que ce n’était pas un ours, bien naturellement. La chasse à l’ours ce n’est que pour les montagnards, les gens de la plaine doivent se contenter des faisans élevés dans le seul but que de se faire exploser la tronche par des moustachus aux fusils bien trop bruyants.

Bref, une fois arrivé, ils ouvrirent l’enveloppe cachetée que M. Y avait remis à L. Le lac paraissait étrange ces derniers temps, une fine pellicule gluante s’était formée à la surface, puis de la mousse commençait à apparaitre un peu partout sur la ligne d’eau et alors que les deux comparses finissaient de lire le document, ils furent pris à la gorge par une odeur des plus insoutenables.

Heureusement que Pat’ s’écomonisait discrètement en journée, du moins il le pensait, ce qui lui permettait de réagir avec rapidité une fois la nuit tombée. Il se pinça le nez, de la main gauche, une prouesse pour un gaucher contrarié s’il vous plaît, couru vers l’étang et plongea sa main restante dans l’étrange mixture qu’était devenu ce vieux trou d’eau. Il en ressortit quelque chose ressemblant à de la compote.

L quant à elle, était reparti fouiller le coffre de la camionnette, arrivant avec une mallette près de Pat’ elle lui demanda s’il avait déjà une idée sur la nature de ce phénomène.

  • Doucement, doucement, je n’ai pas eu le temps de prendre le gouter au boulot, trop de corps aujourd’hui, comment veux-tu que je sois opérationnel aussi rapidement.

Tout en gloutonnant son chocobn goût fraise Pat’ observait L installer son petit atelier de biologiste. C’était fou ce que la technologie pouvait faire maintenant, des fioles pliables en passant par des micro-stations d’analyse bactérienne en kit, Pat’ était un peu largué tant c’était devenu facile. Il fut un temps ou l’analyse reposait bien plus sur l’instinct que sur la science. Il était d’ailleurs courant à l’époque de se planter complètement car, l’instinct n’est pas chose innée pour l’homme. Le flair, ça sent rarement très bon, ça pue même, un peu comme cette mixture que Pat’ tenait dans les mains d’ailleurs.

Le verdict tombât rapidement, du C3H8NO5P encore une sombre histoire de déjection industrielle agroalimentaire. La police surnaturelle avait pour but de surveiller les éléments dérogeant aux lois de la nature et à son bon fonctionnement. Et oui mes petits pères, le surnaturel c’est beau dans les bouquins, en vraie c’est moche, et ça pue bien trop souvent. C’est souvent causé par l’humain d’ailleurs.

Avec cette sombre histoire de pandémie mondiale les grosses cylindrées du monde industriel avaient perdu beaucoup d’argent, du moins c’est ce qu’ils martelaient dans les médias. Il fallait donc, car il le faut, enclencher la deuxième et produire encore plus vite et plus rentable pour s’en mettre pleins les poches. Il était courant alors d’avoir recours à des produits bien nocifs, tuant les mangeurs de culture et les mauvaises herbes.

Ces gars-là ne reculaient devant rien, et puisque les contrôles, autrefois prévus et anticipés, était devenus impromptus il fallait toujours avoir une solution rapide pour faire disparaitre les preuves du méfait. Le plus souvent l’homme ne se cassait pas trop la tête et envoyai toute la merde dans des étendus d’eau, dans les nappes phréatiques ou encore là ou tout un chacun détourne le regard, n’osant affronter la réalité. Puis l’entreprise ressortait du placard son équipe (brain-washée) de green-washing et s’ensuivait un matraquage éco-responsable, proactivement tourner vers le respect de la terre et toutes ces conneries. Et le lambda, trop occupé à survivre dans cet étrange monde n’y voyait que du feu, achetant sans vouloir se méfier, s’en pouvoir affronter la réalité.

Ainsi tournait le monde, et Pat’ n’en était que plus dépité à chaque nouvelle intervention surnaturelle. Alors, lorsqu’il rentra chez lui, une fois la paperasse administrative laissée à L, il alla se faire un lait-fraise, enleva délicatement ses chaussettes, appuya sur play et laissa One Hour By The Concrete Lake venir chatoyer ses oreilles.

Il repensait à ce tueur fou du potager, lui au moins il faisait ça de façon propre, la résilience on appelait celà de nos jours. Pas de C3H8NO5P non, du bon compost humain, certainement bourré de perturbateurs endocriniens et de malbouffe sur-traitée, qui permettait aux légumes de poussés librement…

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