Tranches de vie, Mich’

Les yeux à peine ouverts il était déjà debout, charentaises aux pieds, dévalant lentement les escaliers bien trop abrupts de sa petite maison. Il procédait toujours de la même façon; il mettait l’eau à bouillir dans la casserole, ouvrait la porte d’entrée pour récupérer le journal sur le pas, refermait la porte et posait le journal sur la table. Ensuite il ouvrait à nouveau la porte, s’avançait d’un pas décidé sur le seuil, s’étirait, sortait sa bilout et toute en exerçant une rotation du bassin de 82 degrés il admirait la réaction du choc thermique.

Une fois cela fait, il entrait à nouveau dans la maison, se servait un café, ouvrait son journal à la page “Obsèques et recouvrements financiers”. Il avançait prêt de l’âtre, y mettait quelques bonnes buches et allumait le tout avant de se lever fébrilement pour aller dans le jardin.

Notre ami, que le bas-peuple appelait depuis toujours Mich’, habitait une petite maison à la campagne, en bordure d’un lac, un endroit calme pour y finir ses jours, loin du tumulte de la vie urbaine, des klaxons et des injures. Une grande carcasse d’un mètre quatre-vingt-douze, à la barbe blanche comme la neige et aux cheveux argentés. Mich’ avait été cueuilleur-fraiseur, il aidait à la cueillette dans les champs le matin puis l’après-midi allait tourner et fraiser. Sur la fin, ces collègues se rendirent compte qu’une chose clochait chez notre gars Mich’, il se mettait à tourner et fraiser les légumes et cueillir les fraiseurs. Je ne vous fais pas de dessins, il y eut un petit accident, et figurez-vous que ce n’est même pas avec les légumes. Trois phalanges et un oeil en moins plus tard Mich’ se voyait gracieusement offrir une retraite quelque peu anticipée. Lui, n’y comprenait rien… Une retraite ? À 55 ans se disait-il, cela fait un peu tôt. Mais le monde change si rapidement qu’il se fit une raison et accepta sa généreuse pension. Une pension ? Quel travail ?

Il s’avère que Mich’ pouvait sembler perdre la boule, comme on disait au bistro du village, l’accent en moins pour faute de caractères impossibles à retranscrire sur le papier, la richesse de la langue française…

Certes, il lui arrivait d’oublier, de confondre, de déformer, de créer même, mais il en était convaincu: des gens passaient dans son jardin la nuit, les preuves étaient là.

Il avait beau le répéter à qui voulait bien l’écouter (qui écoute vraiment un fou ?), il en parlait régulièrement, surtout lors des assemblées du village entre les sujets importants tels le feu d’artifice et la prochaine fête de la bière.

Cela faisait quelques semaines déjà qu’il avait remarqué le truc. Le matin en poursuivant sa routine il allait se dégourdir les gambettes dans son jardin, passait devant le saule pleureur qui avait vu les chagrins d’amour de ses enfants, son chagrin à lui lorsque sa femme partit au ciel, ou sous terre il ne savait plus trop bien. Il se dirigeait ensuite vers le potager et là, dans cette terre dénuée de verdure, dans ce parc d’attraction géant pour vers de terre il remarquait régulièrement des empreintes.

Du 45, à coup sûr cela devait être un géant, un troll.

Mich’ avait beau avoir essayé de piéger le monstre du jardin (il avait déjà réussi à en piéger un une fois, un petit gremlin poilu portant le doux sobriquet de kiki, on lui avait dit que ce n’était pas un monstre. Pauvres fous). Armure sur les épaules, il avançait dans le jardin et y posait pièges à loup (pauvre kiki), des caméras infrarouges ainsi que des cordes au sol reliées à des clochettes. Il ne pouvait pas le louper, il en était persuadé.

Or il s’avérait qu’il n’y arriva jamais, à attraper ce démon, des mois durant il redoubla d’intelligence, mais rien n’y fit.

Alors il changea de stratégie, revêtit cette fois-ci son long manteau, vissa sa gapette sur sa tête, retrouva sa vieille pipe datant de son service militaire puis il se mit à enquêter. Son petit calepin ne le quittait plus, certains disaient qu’il avait inventé une nouvelle langue tant il était strictement impossible d’identifier le moindre caractère inscrit dessus.

Il remarqua d’abord la direction des pas, toujours la même. Il prit une motte de terre dans sa main gauche et, tout en l’effritant, leva les yeux vers la girouette. NORD ! Un Yeti allant se faire dorer la pilule au sud avant de retourner dans le grand froid.

Des semaines passèrent, Mich’ fouilla les terres au nord de sa maison, là où le vent le portait. Des jours durant il retournait la terre, sondait les bruissements dans la forêt. Rien.

Mich’ était perdu, épuisé, lessivé, un soir alors qu’il ruminait dans son lit, il vit son grand-père apparaitre en face de lui.

  • Salut petit pote, quoi d’neuf ?
  • Oh rien de bien folichon pépé le boiteux, je chasse un monstre en ce moment, une bête qui saccage mon potager, mais je n’y comprends rien, il vient du Nord et je ne retrouve aucune trace de lui là-bas
  • Oh mon pauvre Mich’, l’erreur est grande, forte en toi. Seul le vent peut t’apporter la réponse

Mich’ était pantois, il ne comprenait rien au charabia de pépé et ce dernier, alors qu’il entamait sa phase de disparition, une technique compliquée à maitriser tant il faut être précis et méticuleux pour ne pas rester bloquer entre deux plans, lâchât dans un murmure à peine audible.

  • Wikipedia mon garçon, Wikipé…

Il attrapa rapidement son smartphone, se rendit sur Wikipedia et, après une sieste à mi-parcours, se rendit enfin compte de son erreur. Une girouette indique l’origine cardinale et non la direction. C’était donc le sud qu’il fallait explorer.

Il partit immédiatement vers le sud, vers le lac, sans se rendre compte que le sens du vent n’avait rien à voir avec son histoire d’empreintes…

  • Salut.
  • Salut.
  • Bon, ben salut.
  • Ouaip, salut.
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