La sueur et le bonheur

Ode à la lenteur.

Gilles en était au gros tiers de sa vie, il s’était construit en sombrant un premier temps puis en allant vers les autres par la suite. Il avait trouvé un petit lopin de terre où il espérait y vivre pleinement, y voir grandir un jour ses enfants dans un monde qu’il espérait changer pour le mieux.

Il y avait tout pour être heureux. De l’herbe, des arbres, du vent, la terre. Il avait commencé à tondre son terrain bien assis sur un tracteur-tondeuse. La frénésie de la vitesse l’avait conquis, naïvement puis les ennuis commencèrent. Le moteur s’encrassa, les pièces s’usèrent et un jour il fit l’amer constat qu’en plus de passer plus de temps à réparer qu’à tondre il avait en plus l’impression de subir une corvée plutôt que de travailler avec sa terre.

Au début de l’été il eut un nerf qui sauta lorsqu’il dut, avant de tondre, devoir une nouvelle fois mettre les mains dans le moteur. Et lorsqu’il fut enfin assis dessus il ne fit que quelques mètres avant de voir un signe apache. Noir plus blanc puis noir à nouveau. C’en était trop, les larmes commençaient à perler le long de ses joues et ce fut au moment où la salinité lacrymale entra en contact avec sa bouche qu’il perçut un mouvement peu commun dans les feuilles du peuplier.

Gilles crût y percevoir une souplesse dans les tiges puis un rugissement animal d’une puissance phénoménal. La Nature envoyait un message.

Il se posa, et entreprit de faire le point sur l’état actuel de son bout de terre, de son monde intérieur et de ce qu’il voulait vraiment. Il ne voulait plus d’outils utilisant de pétrole, il voulait également limiter son impact en réduisant également ceux nécessitant de l’électricité, une batterie lithium. Il fallait reprendre le contrôle sur ce qu’allait devenir le terrain.

Il rechercha des alternatives sur ce merveilleux outil qu’est internet et découvrit un monde bien plus profond qu’il l’espérait. La mécanisation avait effacé la relation qu’avaient les Hommes avec ce qui l’entourait.

Gilles découvrit l’usage possible de la fau(l)x pour reconstruire cette relation perdue. Des Hommes étaient déjà passés par là et avaient été assez généreux pour partager leurs découvertes et leurs expériences. Il se procura alors une faulx provenant de taillanderies artisanalement industrialisées et sortie vers le dehors.

Les premiers coups furent relativement satisfaisants, mais c’est lorsqu’il arriva sur ce grand rectangle de 1000m2 qu’il fit l’amer constat qu’il allait falloir investir un peu plus qu’un bête biceps pour obtenir un résultat satisfaisant.

Déjà il commença par laisser pousser l’herbe durant tout l’été, les insectes et les animaux revinrent alors s’amuser dans les hautes herbes, ses chats lui en étaient reconnaissant. Puis il dut travailler son geste, travailler également le fil de la lame, le rendre aussi coupant qu’un rasoir. Il devait mettre en synergie l’outil et le corps, utiliser la force des deux pour utiliser le moins d’énergie possible.

Ce n’était qu’un début, ce n’était qu’un humain, mais Gilles était optimiste. Un jour peut-être nous comprendrons que nous allons trop vite et que la lenteur n’est pas un péché.

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