Sur le chemin de l'école, on entendait les rumeurs de la ville, un enfant était souvent plus au fait de la vie de la cité qu'un représentant quelconque, perché là-haut sur la colline surplombant la ville, dans son bureau du Haut conseil.
Souvent, les enfants fabulaient sur ces bruits.
Parfois, ils n'en soupçonnaient pas la tangible réalité.
Rarement, ils semblaient voir les merveilles qui se cachaient derrière ces mots passés sous le manteau, à l'abri des oreilles du Haut Conseil, bien au chaud dans les méandres de la cité.
Le Faraich regorge de merveilles, on pense bien évidemment à l'Innluunach, de secrets encore inconnus de tous.
Tanil l'avait entendu de Mino, qui l'avait lui-même entendu par la soeur du premier.
Parfois les plus profonds secrets sont détenus tout près de nous, palpables et pourtant si distants.
[...]
On pourrait y entrer à plusieurs, y aller rapidement, après les cours. Forcer la grille d'entrée avec le pied de biche de papa. Se faufiler dans la fissure du mur près de la verrière. Gmaar est déjà passé en repérage il y a quelques jours de ça.
Ce serait bien s'il emmenait une gourde, de quoi grignoter aussi. Et puis n'oubliez pas les torches.
Il faudrait ensuite monter au premier étage, entrer dans la bibliothèque, parcourir les allées.
Jusqu'à trouver le portail, retrouver ce portail qui sans cesse ne bouge, disparaît pour réapparaître à un autre endroit.
[...]
Il fallait aller vite, la nuit tombait déjà, les parents allaient s'inquiéter. Il fallait aller vite, mais sans pour autant survoler les étagères afin de ne pas le louper.
Une fois le portail localisé, c'était un jeu d'enfant, dans nos cordes donc, une habitude, une routine. On sortait notre carte de la bibliothèque, y cochait l'emplacement du portail puis on le traversait.
Une fois revenu dans la bibliothèque, on inscrivait nos observations puis on filait à la maison de Gmaar.
[...]
Dans le salon, au chaud près de l'âtre, on dépliait notre carte puis chacun sortait son carnet. Cette fois-ci, nous étions ressorti à l'endroit où nous étions entrés. Il arrivait parfois qu'on ressorte dans un autre rayon. Une fois Milo était même réapparu en dehors de la bibliothèque alors que Gmaar et moi étions réapparu en son sein, mais pas au même endroit.
On disait que les livres étaient magiques, qu'il utilisait notre imaginaire pour entrer dans des autres mondes. On disait également que nos différences, nos mondes intérieurs, influaient sur le lieu vers lequel le portail nous envoyait. La localisation du retour en était simplement l'interprétation globale, le ressenti propre à chacun face à ces nouveaux mondes qui s'étaient offerts à nous. Pour ressortir hors de la bibliothèque, Milo avait dû éprouver de l'horreur, de la peur, une envie de fuir.
[...]
Un jour, nous n'étions pas retournés à la bibliothèque, le ciel s'était strié de lumières, des gerbes étincelantes ici et là.
Un jour, nous avons été appelés, forcé. Puis, nos mondes intérieurs se sont peu à peu affaissés, gommant toutes leurs aspérités qui faisaient de nous des êtres uniques. En résultant, un monde terne, conformiste, banal. Un monde d'adulte, de sang et de chair en décomposition.
Un enfer.
[...]
Milo nous regardait, couvert de boue, les bras écorchés, les mains congelées.
Il nous regardait, immobile, il semblait vouloir fuir, courir loin, et pourtant il ne bougeait pas, immobile.
On vit un panache de fumée à l'orée du bois, un flash soudain, le sourire triste de Milo, ses larmes, et puis plus rien.
Le néant, le dernier des mondes. Aucun portail, plus de retour.